LIRE  Novembre 2003

Bernard Werber, « créateur de mondes »

par Delphine Peras

 
Dans son appartement parisien, l'auteur des Fourmis s'est entouré d'objets très hétéroclites. Il montre son insatiable curiosité pour l'objet scientifique et la recherche intellectuelle. Quant au décor...

Paris, une rue tranquille du XVe arrondissement. Un immeuble moderne, sans charme et un peu rupin. Bernard Werber, coincé dans les embouteillages, est en retard. Qu'on ne l'attende pas, sa femme de ménage nous ouvrira, au quatrième étage. C'est Werber tout craché: sans manières, candide, faites-comme-chez-vous. Drôle d'impression quand même que de pénétrer chez le maître des lieux sans lui, le regard à l'affût, comme un flic... Drôle d'appartement, du reste, pour un écrivain à succès, l'un des rares Français à avoir vendu quelque 10 millions de livres dans le monde, traduits en trente-cinq langues: l'endroit n'a rien de singulier, rien d'ostentatoire non plus avec son mobilier assez quelconque. On se croirait chez un voisin. On ne se serait pas trompé de porte, par hasard? Non. D'abord il y a le chat Domino, noir et blanc, canaille comme tout. Bon sang, mais c'est bien sûr: il y a aussi un matou du même nom, aussi intenable, dans son nouveau roman, "Le papillon des étoiles". Et puis l'œil tombe vite sur les repères signés Werber, à commencer par ses propres peintures accrochées çà et là. Acrylique sur toile, couleurs vives, tonalité vaguement fantastique. Pas des chefs-d'œuvre, c'est sûr. Mais un côté peintre du dimanche enfantin, touchant, à l'image de l'auteur, qui avouera "peindre pour se défouler". Il a bien fait de persévérer plutôt dans l'écriture. Justement, c'est à l'écrivain que ramène une grosse fourmi en résine qui orne un mur du salon, œuvre de son ami, le sculpteur Marc Boulay, un clin d'œil à sa célèbre trilogie sur les hyménoptères. Avec ses deux millions d'exemplaires vendus, c'est elle qui a fait connaître le romancier et lui vaut aujourd'hui un fan-club jusqu'en Corée du Sud. Deux autres sculptures du même artiste, un chat obèse et un petit extraterrestre posés sur le piano droit, blanc, en compagnie d'un joli crâne en faïence, très rétro, qui détaille les parties du cerveau, façon curiosité d'apothicaire, renvoient également à l'univers de Werber. Un univers qui mêle mythologie, mathématiques, spiritualité, biologie, hautes technologies, médecine, logique, chimie...

Ses lectures sont à l'avenant, des Mythes grecs de Robert Graves aux thrillers de Michael Crichton, en passant par Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ou encore De la réconciliation chez les primates de Frans de Waal. La bande dessinée n'est pas en reste, qui a droit à une bibliothèque bien fournie, dans les toilettes certes. Quant à sa copieuse collection de DVD, elle compte aussi bien l'intégrale de Desperate Housewives que celle de Star Wars. Mine de rien, la science-fiction tient encore la vedette, pas un classique de genre ne fait défaut sur ses étagères - Dan Simmons, Philip K. Dick, Isaac Asimov, H.P. Lovecraft, etc. La science-fiction reprend d'ailleurs ses droits dans Le papillon des étoiles, du nom d'un vaisseau extraordinaire transportant 144 000 personnes décidées à tenter une nouvelle odyssée de l'espèce ailleurs que sur Terre, cette planète qui court à sa perte. Le voyage, qui doit durer mille ans, ne sera pas de tout repos. On embarque sans se faire prier, c'est très prenant au début. "Il s'agissait d'une nouvelle comme toutes celles que j'écris pour me détendre entre mes trilogies", explique Bernard Werber qui déboule enfin. "Celle-là m'a amusé plus que les autres et j'ai décidé de la développer pendant le tournage de mon film Nos amis les Terriens. J'avais aussi envie d'un entracte avant d'entamer le troisième volet de Nous, les dieux qui me demande beaucoup de travail de documentation". Né à Toulouse en 1961, mais Parisien depuis vingt-cinq ans, il a emménagé dans cet appartement en 2001, après avoir résidé successivement dans le XIXe, le XIe, le Xe et le XIVe arrondissement. "Je ne suis pas très déco, c'est d'abord le confort qui m'importe. Je recherche en priorité le calme, la lumière et la perspective". Mais on sent bien que c'est dans sa tête que l'auteur des Thanatonautes habite avant tout. "Créer des mondes est devenu pour moi une gymnastique". Il le fait parfois dans son bureau, grande pièce où sont soigneusement classées les archives de tous ses livres, ceux-ci trônant en plusieurs exemplaires.

Pour le reste, c'est un joyeux désordre, tenu en respect par un Macintosh dernier cri et deux ordinateurs portables. En fait, Bernard Werber travaille souvent hors de chez lui, en l'occurrence au café du coin où il se rend chaque matin. "Quand j'écris, plus rien n'existe autour de moi". Cette capacité à s'extraire du réel ne l'empêche pas d'avoir les pieds sur terre et un sens de l'humour certain. Confer ces maximes marrantes scotchées un peu partout dans l'appartement, comme dans une piaule d'étudiant. On retiendra celle-ci, Albert Einstein oblige: "Il est plus difficile de désagréger un préjugé qu'un atome". L'ex-journaliste scientifique en sait quelque chose, qui a longtemps subi le mépris des beaux esprits pour oser écrire simplement des histoires enchantées. "Je repense souvent à cette fable de La Fontaine, Le meunier, son fils et l'âne, dont la morale dit: quoi que vous fassiez, ça ne va jamais. Maintenant je m'en fiche". Le succès rendrait-il libre?

 
Delphine Peras

 


 


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