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Bienvenue sur le blog officiel de Bernard Werber
14.10.2017

Comme le livre commence par le décès du héros je vais enchainer avec ce récit dans le cadre des....
PETITES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES QUE J’AI REELEMENT VECUES.
Elément de Puzzle numéro 06
« LA PREMIERE FOIS OU J’AI FAILLI MOURIR ».
« Et maintenant tu vas mourir ».
Je me souviens de cette phrase prophétique incontestable qui m’a été prononcée alors que j’avais un pistolet braqué sur ma nuque, et qu’il y avait un doigt nerveux, légèrement tremblant, posé sur la gâchette du-dit pistolet.
Mais il faut d’abord que je vous raconte ce qu’il s’était passé juste avant.
Nous étions en Aout 1975, j’avais 14 ans et j’étais en colonie de vacances en Corse. Les organisateurs avaient proposé qu’un groupe de volontaires fasse le tour de la corse en vélo, pendant que les autres voyageraient en bus. Je m’étais tout de suite porté volontaire pour la première option. C’était sensé être plus long, mais plus pratique pour découvrir les somptueux paysages de l’ile de beauté.
Après une journée harassante à pédaler en étant frôlés par les voitures, les caravanes et les camions sur des routes, montantes et descendantes, très sinueuses, avec d’un coté des ravins et de l’autre des parois rocheuses hérissées de rochers pointues, nous nous étions arrêtés, la nuit tombée, devant un restaurant paillotte, près de Solenzara, sur la cote sud-est de l’ile.
Là nous avions rencontré un patron chaleureux qui nous avait accordé le droit de planter nos tentes sur la plage face à son restaurant. Comble de chance il nous offrait aussi le libre accès à ses toilettes. Nous avions monté les tentes et nous étions organisés pour diner. Un réchaud, des casseroles, des sachets de nouilles déshydratées. Il ne manquait que l’eau pour faire bouillir les sachets.
J’étais donc parti avec quatre gourdes vides en bandoulière pour les remplir d’eau a la salle de bain du restaurant. Il me fallait pour cela traverser une zone de bosquets et d’arbustes qui séparait la plage elle même du restaurant.
Mais alors que j’arrivais dans la salle de bain je remarquais une première anomalie.
Il y avait du sang sur le lavabo. Il y en avait aussi sur le robinet, sur le miroir, sur le carrelage. En fait il y avait du sang partout. Je marchais dans des flaques écarlates.
Je nettoyais l’extrémité du robinet avec un peu de papier WC, pour éviter qu’il y ait du sang dans les gourdes et que cela donne un gout salé, puis les remplissais une à une.
Ensuite, sans plus me poser de question, je prenais le chemin du retour, traversant la zone des bosquets entre le restaurant et la plage.
Il faisait déjà nuit noire, il n’y avait pas de pleine lune et j’éclairais le chemin avec ma lampe torche. J’étais sur le point de rejoindre la zone de sable lorsque soudain une silhouette surgit face à moi et balbutia d’une voix hachée : « Baisse la lampe tout de suite ».
Je dirigeais la torche vers la source de la voix et je distinguais un homme le visage ravagé par des plaies ouvertes sanguinolente.
Sa lèvre était fendue, il avait une grande balafre qui lui courrait sur la joue. Du sang dégoulinait de son nez et de son arcade sourcilière, sa chemise claire était couverte de taches rouges poisseuses.
Il respirait fort en produisant des bruits bizarres avec sa bouche du fait de ses blessures. Il a répété avec détermination encore plus forte.
« Eteins vite cette lampe, tu m’entends !»
C’est en baissant la lampe que j’ai vu briller le pistolet. Etrangement a cet instant je me suis demandé qu’elle était sa marque. J’ai dirigé ma lampe vers sa main et éclairé l’arme dardé dans ma direction. Je m’en souviens parfaitement.
C’était un Smith et Wesson modèle SW 1911 avec un canon chromé plutôt long, et des stries en relief sur les cotés, le genre d’arme qu’on ne peut pas cacher dans la poche interne de sa veste, une arme de collection qui avait dû couter très cher. Quelque part cela m’a un peu réconforté. Tant qu’à se faire tirer dessus autant que ce soit avec une pièce de luxe. Le rond noir du canon semblait m’observer comme un œil (J’apprendrais plus tard que c’était un calibre 45).
Alors que l’homme approchait encore plus menaçant, agitant son pistolet, j’ai déposé calmement la lampe de poche sur le sol. Il respirait de plus en plus fort tout en produisant comme un sifflement avec le nez et le bord de la bouche.
« Allez ! Mets-toi à genoux ! »
J’ai obtempéré calmement et j’ai senti le métal froid posé sur ma nuque.
« Et maintenant tu vas mourir »
Ensuite il m’a semblé qu’il se passait de très longues secondes. J’ai eu l’impression que je sortais de mon corps et que je voyais la scène de l’extérieur en hauteur. La scène n’avait pour seule lumière que la lampe torche toujours active posé au sol. De ce point de vue élevé je me voyais à genoux et un type avec le visage en sang tenant un pistolet argenté dirigé vers mon cou, du moins vers le cou du jeune homme là en bas qui était sensé être « moi ».
Je pensais : « Et voilà ma vie va bientôt s’arrêter ».
Je me souvenais aussi d’une discussion au téléphone que j’avais eu avec mon père juste avant ce départ pour le tour de Corse en vélo.
« - Quoi ? Vous allez partir, avec tes copains, comme ça en vélo et en sac à dos, sans même savoir où vous allez dormir le soir ?
- C’est l’aventure papa. Et puis on a des tentes et des sacs de couchage.
- Cela peut être dangereux.
- Nous serons huit.
- Tu ne te rends pas compte Bernard ! Vous pourriez quand même vous faire agresser.
- Par qui ?
- Par des types qui veulent vous détrousser, pardi !
- Mais papa on n’a rien à se faire voler. On a 14 ans. Ils ne vont pas nous voler nos rations de soupe lyophilisée.
- Le peu que vous avez cela peut toujours intéresser des gens malveillants. Et puis il y a toujours des fous. Huit gamins en vélo, vous serez des proies faciles.»
J’avais haussé les épaules considérant que mon père était un peu trop protecteur ou trop paranoïaque. Avec le recul je m’apercevais, à cet instant précis, qu’une fois de plus il avait raison.
Mon esprit était toujours en dehors de mon corps regardant l’adolescent a genoux avec le type qui respirait fort a coté qui tenait le pistolet Smith et Wesson SW 1911 chromé braqué sur sa nuque.
Une idée encore plus forte m’accapara :
« Qu’ai je fait de ma vie ? J’ai 14 ans et qu’ai je accompli durant toutes ces années d’existence ? Je vais mourir sans avoir produit quoique ce soit d’intéressant. C’est une existence pour… rien. »
J’eu aussitôt un énorme sentiment de gaspillage. A cet instant précis je fus envahie par l’idée que j’étais né et que j’avais dérangé le monde, la patience de mes parents, de mes professeurs, de mes amis, pour aboutir à ce gâchis. Une balle tirée dans la nuque par un type que ne connais même pas pour des raisons que j’ignore.
La cause de ma fin : se faire détrousser d’un portefeuille contenant quelques billets de dix et d’un sac à dos contenant des affaires de camping.
Quel gâchis.
Quatorze années pour terminer comme ça.
Donc j’attendais la balle de revolver.
Mais elle ne venait pas. Je n’osais pas me retourner.
Chacune de mes inspirations durait une éternité.
Je sentais mon cœur battre.
La respiration rapide, bruyante, quasi haletante de mon futur assassin ne s’était pas apaisée et je sentais toujours le contact froid du métal sur ma nuque.
Une nouvelle pensée émergea.
« Bon alors, elle vient la mort ? »
Et puis soudain il y a eu une voix venant d’une autre direction qui prononça une phrase que je n’oublierai jamais.
« Non ! Ne tire pas papa, ce n’est pas lui !!!! ».
Ensuite le contact avec le canon froid a cessé. Le pistolet a dû s’éloigner de quelques centimètres de ma nuque.
Un jeune garçon d’une dizaine d’années m’a lancé :
« Partez vite, monsieur, je m’occupe de lui ».
Alors je me suis relevé, j’ai remis en place les quatre gourdes et j’ai marché, comme en état second, pour rejoindre mes huit autres camarades.
Ils vaquaient à leur occupation tranquillement.
- Ah c’est maintenant que tu arrives, Bernard ? On a tous très faim tu sais. Tu as la flotte pour les nouilles ? demande Jean-Michel qui s’était posé comme chef de notre bande.
J’ai tendu les gourdes pleines et j’ai prononcé avec calme:
- Je crois que nous ferions mieux de partir tout de suite.
- Et pourquoi donc ?
- Il y a un pépin.
- Qu’est-ce que tu racontes encore ? a ricané Jean-Michel. Ah Bernard, il faut toujours qu’il invente des histoires. Tu es quand même un peu mythomane !
- Non je suis sérieux.
- Nous aussi et on te le dit, il faudrait que tu arrêtes de croire à tes propres salades. On n'y croit plus.
Petits rires des autres qui s’étaient habitués à ce que je leur raconte des histoires horribles que j’inventais pour les distraire. Je tentais de retrouver un peu de calme pour poursuivre.
- Cette fois ce n’est pas une histoire issue de mon imagination. Je crains que cela ne soit bien réel. Je pense vraiment que ce serait mieux qu’on démonte les tentes pour nous installer un peu plus loin, insistais-je avec le même ton détaché.
- Et tu peux nous expliquer ce qu’il se passe de si grave selon toi?
- Il y avait du sang dans la salle de bain. Du sang partout. Et en rentrant pour ramener les gourdes je suis tombé sur un type avec un gros pistolet. Il avait le visage ravagé de plaies ouvertes et il voulait me tuer.
Un long silence suit suivi à nouveau de pouffades et moqueries.
Finalement ils ont décidé de ne pas tenir compte de mon avertissements, considérant que ce n’était juste qu’un délire du soir du mythomane du groupe.
Jean-Michel pour détendre l’atmosphère m’a donné une tape dans le dos.
- Sacré Bernard qu’est ce que tu ne vas pas chercher quand même, d’où te viens cette imagination débordante ?
C’est aussi le problème quand on a commencé à prendre la fonction de raconteur d’histoires imaginaires (et déjà à l'époque j'aimais bien inventer des récits) on n’est jamais cru.
- Cette fois ci c’est vrai.
- Oui c’est ça, il y a un tueur avec un revolver caché dans les bosquets, hein ? Allez mangeons. Moi j’ai très faim.
Puis Jean-Michel a déchiré les sachets de nouilles déshydratées avec ses dents alors que les assiettes, les gobelets et les fourchettes en plastique, le ketchup et les chips étaient distribués.
L’eau se mit à bouillir, et je me dis que si cela ne m’était pas arrivé réellement j’aurais probablement réagi comme eux. Après tout ce que je venais de vivre il y a quelques minutes a peine n’était pas très « crédible ». Je me dis que le mieux était peut-être de ne plus y penser.
C’est alors que Julie, une des filles de notre groupe qui était partie aux toilettes de femmes, revint. Elle avait du mal à retrouver son souffle, elle parlait sans articuler très vite, la bouche tremblante.
- … J’AI TOUT VU !!!! …
Elle avait des sanglots dans la voix. Tout son corps était parcouru de spasmes et de frissons. Elle pleurait d’émotion.
Cette fois Julie avait focalisé d’un coup tous les regards. Plus personne ne pensait à la nourriture. Elle semblait avoir vu le diable.
- LE TUEUR AVEC SON …. REVOLVER ! IL A FAILLI TUER BERNARD ! IL ALLAIT REELLEMENT LUI TIRER DESSUS COMME CA A BOUT PORTANT !!!!!!! »
Je n’ai pas osé préciser qu’il s’agissait d’un pistolet et non d’un revolver, cela ne me semblait pas le moment adéquat pour ce genre de rectification.
Elle s’est mis à pleurer et à sangloter.
Elle était pale, les yeux révulsés, haletait en émettant des bruits de gorge puis soudain elle s’est relevé et a commencé à ouvrir grand ses yeux et à prononcer avec une rage mal contenue.
- IL VA NOUS TUER NOUS AUSSI ! C’EST UN FOU DANGEREUX ! IL AVAIT LE VISAGE ENSANGLANTE. IL VA NOUS ATTAQUER NOUS AUSSI !!!! C’EST AFFREUX !!!! NOUS SOMMES EN DANGER ! »
Elle s’est effondrée tremblante soutenue par une autre fille. Elle a continué à bégayer, pleurer, décrire, répéter les mêmes phrases tout en me regardant et me pointant du doigt.
J’ai bredouillé quelques mots dans sa direction :
- Tu sais Julie, j’ai essayé de les avertir mais…
- IL VA NOUS TUER !!! IL FAUT PARTIR TOUT DE SUITE.
Cette fois ce fut l’affolement général de tout notre groupe d’adolescents. En quelques secondes toutes les affaires étaient pliées, les tentes démontées, la nourriture abandonnée.
Tout en rangeant les affaires dans mon sac à dos je me suis dit qu’il serait temps que je réfléchisse à ce problème.
Lorsque les situations étaient vraiment terribles je n’arrivais pas à m’affoler.
Ensuite une fois que c’était arrivé je ne savais pas être crédible parce que j’étais dans le contrôle et non dans l’invasion des émotions brutes comme Julie.
Force était de constater que je savais inventer des histoires imaginaires mais je ne savais pas parler du réel.
J’aurai dû crier, pleurer, trembler comme Julie, mais non, probablement du fait de ce détachement au moment de la situation je n’arrivais pas à vraiment m’apitoyer sur moi même.
Pire que cela : je considérais déjà que de toute façon j’allais mourir un jour donc il fallait accepter cette vérité et une fois que ce sera fait, ce sera fait.
- FUYONS ! VITE ! insista Julie avec sa voix chevrotante.
Elle commençait presque à me faire peur comme si ce n’était pas moi qui était concerné.
Finalement l’avenir est aux acteurs, peu importe l’histoire si elle n’est pas interprétée avec émotion on n’y croit pas.
Quelle sensation étrange, la situation racontée me faisait plus d’effet que la situation réellement vécue.
Il m’était déjà arrivé d’avoir des fous rire alors qu’il m’arrivait des drames. Je crois que c’est lors de cet incident que j’ai pris conscience de mon incapacité à transmettre des émotions par ma voix et mon comportement. Je suis incapable de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit parce que j’ai trop de recul et que le réel me semble une sorte de film projeté dont je ne serai qu’un personnage parmi d’autres.
Les six autres compagnons de voyage étaient maintenant dans la bousculade, la gesticulation, l’effroi total.
(Le pouvoir de transmissions des émotions des acteurs, dis je).
Au fur et à mesure que Julie donnait plus de détails sur le tueur fou au visage sanguinolent avec son revolver, la terreur devenait contagieuse. D’autres filles pleuraient. Jean-Michel bafouillait.
- Bon sang vite, filons d’ici, ça craint !!! répétait-il maintenant.
J’étais le plus lent à ranger mes affaires.
Je ne cessais de repenser à cet handicap d’être incapable de me mettre en colère ou de paniquer.
Depuis ma naissance j’étais spectateur de ma propre vie.
Comme si mon esprit suivait de loin les aventures de mon corps. Ce qui arrive à ce « Bernard Werber » me semblait curieux et intéressant. Sans plus. Je n’avais pas d’attachement spécifique à ce personnage que j’étais sensé incarner.
Bernard Werber avait failli mourir. Bon et alors ?
En quelques minutes nous étions avec nos sacs à dos remplis à nouveau. Nous nous installâmes à quelques centaines de mètres plus loin devant une autre paillotte restaurant qui, elle, était éteinte.
Nous remontâmes à la hâte les tentes.
Jean-Michel, donnait des consignes, il fallait qu’il y ait des tours de gardes au cas ou le « fou furieux au revolver » veuille nous attaquer dans la nuit. Il proposait qu’on utilise, comme armes, nos couteaux à cran d’arrêt. Le premier qui le voyait ou qui était attaqué devait hurler et on devait tous ensemble lui tomber dessus pour tenter de le désarmer. Il expliquait qu’avec les cailloux, des bâtons et les couteaux on pouvait peut-être l’assommer. Julie préconisait qu'on devait lui jeter du sable de la plage dans les yeux. Sinon il faudrait frapper au ventre et à la tempe. Il espérait que notre nombre pourrait compenser notre faiblesse d’armement.
Pour ma part considérant que j’avais déjà eu mon lot d’émotions pour la journée je m’enfonçais dans mon sac de couchage et m’endormais aussitôt.
A l’époque j’avais un sommeil profond rapide avec des rêves très cinématographiques. Je ne me rappelle pas du rêve précis de cette nuit, mais cela devait être un rêve très banal par rapport à la réalité que je venais de vivre.
Je fus réveillé par la lumière du soleil matinal et la voix de Julie. Elle avait encore le visage tout blanc et la voix mal assurée.
- Bernard, … Bernard…. Bernard… il y a quelqu’un qui veux te voir.
Je me levais, sortais de la tente, clignait des yeux. Les autres me fixaient avec curiosité comme si j'étais un type anormal.
En tout cas j’étais visiblement le seul du groupe à avoir bien dormi.
Julie me guida vers le nouvel arrivant. C’était le jeune garçon qui m’avait sauvé la vie hier soir. A la lumière du jour je distinguais un visage rond, des cheveux noirs. Il baissait les yeux. Il semblait gêné comme s’il devait avouer une bêtise.
- Mon père voudrait vous faire un cadeau pour s’excuser pour hier soir, me déclara-t-il.
Les autres me regardaient attendant de voir ma réaction. Je baillais, me frottais les yeux pour gagner un peu de temps et me donner un peu de contenance, réfléchissais vite puis je déclarais :
- Je ne veux pas de cadeau et je ne souhaite pas revoir votre père. Par contre ce que je veux c’est savoir la vraie histoire. Qu’est ce qu’il s’est passé hier soir qui a amené à cette situation ?
Il accepta de me raconter en détail ce qu’il savait sur les évènements de la veille.
En fait quelques heures après que mes compagnons et moi nous soyons installés sur la plage, il ne restait plus qu’un dernier client dans le restaurant. Et ce client déjà bien éméché avait refusé de payer son addition.
Le patron du restaurant avait insisté et le client avait dégainé un rasoir qu’il avait dardé en avant pour le menacer. Le patron ne s’était pas laissé impressionner, il avait saisi une chaise pour tenir l’homme au rasoir hors de portée.
S’en était suivi un duel. Chaise contre rasoir. Puis un corps à corps. Le client mauvais payeur était arrivé à toucher le propriétaire du restaurant plusieurs fois au visage et au bras provoquant de profondes entailles. Finalement le combat avait tourné à l’avantage du patron, qui avait réussi à le désarmer et le client vaincu mais ne voulant toujours pas payer s’était enfui en lançant :
« De toute façon je vais revenir avec tous mes copains et on va foutre le feu à ton restaurant!»
Alors le père était allé dans un premier temps dans sa salle de bain pour se nettoyer les blessures, ce qui expliquait qu’il y avait du sang partout, puis il avait récupéré son pistolet. Il s’était caché dans le jardin, accroupi derrière les broussailles et il attendait les complices pyromanes.
Un peu plus tard une voiture avait surgi depuis le sentier qui menait au restaurant et à la plage.
Elle s’était garée près du restaurant. Les phares s’étaient éteints. Le contact avait été coupé. Les portes s’étaient ouvertes et quatre personnes en étaient sorties.
Pour le restaurateur il était évident que c’étaient les copains du client au rasoir, qui revenaient pour exécuter la sinistre menace lancée par le vaincu.
Dès lors l’homme au visage lacéré avait mis au point une stratégie : les abattre un par un avant qu’ils ne puissent incendier son restaurant. Il a saisi son révolver Smith et Wesson modèle 1911 et s’est mis en embuscade pour les descendre un par un.
On peut le comprendre. Il était en légitime défense.
Et ce fut précisément à ce moment que je suis passé avec mes quatre gourdes en bandoulière. Pour lui il était évident que ces récipients étaient remplis d’essence. J’étais forcément l’un d’eux. Le fait que le restaurateur ait reçu un coup de rasoir sur les yeux et le fait que j’ai une lampe torche alors que lui n’avait pas de source de lumière ne faisait que rajouter à la confusion. Même si nous nous étions vu auparavant, il ne me reconnaissait pas et moi non plus.
Pourquoi avait-il attendu avant de tirer ?
« Non ! Ne tire pas papa, ce n’est pas lui ». Quelle jolie phrase.
Ce garçon de moins de dix ans venait de décider que j’allais continuer à vivre.
Quant aux hommes sortis de la voiture garée, ce n’étaient pas les incendiaires, probablement de simples touristes venus faire un bain de minuit.
Le restaurant n’avait pas pris feu, le client au rasoir n’était pas revenu avec ses amis.
Le garçon insista à nouveau pour que je le suive vers son restaurant afin que son père puisse s’excuser en face.
- Il va vous faire un très beau cadeau, vous verrez je suis sûr que cela va vous plaire. Mon père est tellement embêté pour ce qu’il s’est passé hier soir.
- C’est plutôt à moi de « te » remercier, à toi qui est maintenant en face de moi. Tu m’as sauvé la vie. Je n’oublierais jamais ce qu’il s’est passé hier soir et ce que je te dois.
Et alors que je regardais le jeune garçon s’éloigner je me mis à songer :
« Je suis donc encore là ici et maintenant. Il a fallu tellement de chance pour que la vie apparaisse sur terre. Il a fallu tellement de temps pour que les espèces évoluent jusqu’à l’apparition de l’humain. Il a fallu de tellement de hasards pour que mes ancêtres survivent aux guerres, aux épidémies, aux famines, se rencontrent et fassent l’amour. Il a fallu tellement de chance pour que le spermatozoïde de mon père qui a fécondé l’ovule de ma mère gagne la course devant ses 300 millions de concurrents.
Bon sang si j’étais mort hier soir tout se serait arrêté.
Tous ces hasards extraordinaires qui ont abouti à mon existence n’aurait servi qu’à produire un cadavre d’un gamin de 14 ans gisant dans le sable de Solenzara suite à un … « malheureux quiproquo issu d’une bagarre nocturne avec un ivrogne qui ne voulait pas payer ».
J’ai avalé ma salive et j’ai eu la conviction suivante :
« Il faut à tout prix que je rentabilise cette vie, accomplir n’importe quoi mais au moins quelque chose qui légitime le fait que je sois né. Quelque chose qui fasse que lorsque je mourrai, je n’aurai pas le regret de ne pas avoir assez vécu ni profité de cette existence particulière ».
Dès lors j’inspirais profondément, je fermais les yeux, et j’eu une énorme envie de rentabiliser chaque seconde de ma vie afin que si un jour on devait l’inscrire dans un livre il y ait au moins quelques passages amusants ou intéressants".
Je me suis dis tout en soufflant :
« Et maintenant que je ne suis pas mort, tout peut commencer ».
* * *
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