HISTOIRE REELEMENT VECUE N°10 -
“COMMENT JE SUIS DEVENU RACONTEUR D'HISTOIRE"
EPISODE 02. "LE JOURNAL DE LYCEE ET LA PREMIERE EBAUCHE DES FOURMIS"
Je me souviens.
C'était en 1976 à TOULOUSE, j'avais 15 ans.
Un proverbe dit « Tout ce qui nous arrive est pour notre bien ». Je crois que mon échec de passage en section scientifique (au moment de l'examen j'avais oublié de retourner la page du problème et je n'avais fait, avec brio, que la première partie d'algèbre sans savoir qu'il y en avait une autre de géométrie derrière) fut avec le recul ce qu’il pouvait m’arriver de mieux.
Alors que le Lycée Fermat était un lieu de compétition avec une majorité de garçons et des professeurs plutôt sévères et entretenant une discipline stricte, le Lycée Ozenne était un lieu de détente avec une majorité de filles et des professeurs plutôt cool.
Dans ma classe nous étions dix garçons pour 20 filles.
L’idéal.
Le professeur de français, madame PUPKO était une dame plutôt âgée.
Elle avait des allures de diva et parlait avec un accent des pays de l’est. Elle avait repéré mes talents de conteur et plutôt que de me mettre des notes uniquement sur l’orthographe, elle passait outre la forme et notait la qualité de l’histoire elle même. Elle m’encourageait à aller de plus en plus loin dans l’originalité.
- Monsieur Werber, je ne sais pas ou vous allez chercher tout ça, mais je m’amuse beaucoup à vous lire. Vous ne prenez pas de drogue au moins ?
- Heu non madame, c’est dans tête, je m’inspire de mes rêves.
Madame Pupko, avait un long fume cigarette qu’elle maniait avec grace et avait toujours un petit sourire ironique que j’aimais bien car il y avait une forme d’affection.
J’avais pourtant un challenger, un frère de lettres, un certain TRUONG, un élève d’origine vietnamienne qui avait la même aptitude a faire des histoires originales que moi. Et il écrivait mieux. Enfin une compétition qui m’intéressait.
Au début nous étions rivaux pour avoir les meilleures notes de madame Pupko puis naquit une amitié entre nous, même s’il me prenait parfois de haut, conscient de sa supériorité en écriture.
En même temps apparaissait une émulation, il fallait que j’arrive à obtenir de meilleures notes que TRUONG.
J’étais meilleur dans l’originalité des histoires, lui était meilleur dans la qualité de l’écriture elle même.
Déjà à l’époque je privilégiais le fond sur la forme ce qui peut être un avantage pour certains et un handicap pour d’autre. Cependant plutôt que de combler ma faiblesse j’essayais au contraire d’améliorer mon point fort, trouver des idées encore plus fortes, des points de vue originaux, développer des histoires remplies de surprises. Si bien que mes histoires de venaient de plus en plus prenantes au plus grand ravissement du professeur de Français.
Le Lycée Ozenne avait un cours de dactylographie, (beaucoup des filles se préparaient à être steno dactylo) et je choisis cette option. Je me retrouvais du coup l’unique garçon à apprendre à tapper vite à la machine à écrire.
Au début les autres se moquaient « Et plus tard tu veux être « une » secrétaire Bernard ?» mais je crois qu’intuitivement il me semblait que c’était la meilleure chose à accomplir à cette époque.
Nous apprenions à taper avec les dix doigts avec un cache de carton posé au dessus des mains pour qu’on ne puisse par voir les touches. Ensuite il y avait des courses avec un chronomètre et nous devions tapper des textes le plus vite possible avec 2, 4, 6, 8 puis 10 doigts.
Sans le savoir ce fut probablement la préparation à ce que j’allais faire tout le reste de ma vie. Grace à la dactylographie j’appris à écrire à la vitesse de la pensée. C’était comme si je pouvais projeter sur la feuille (nous utilisions à l’époque des machines électriques à boule IBM) ma pensée en direct.
Comme je m’ennuyais un peu dans ce lycée ou tout était tellement cool qu’il me semblait plus nécessaire de faire des efforts, avec un ami Michel Pélissier je montais un groupe de rock (je voulais l’appeler les fourmis bleus au cas ou nous aurions à la possibilité de jouer sur scène mais cela ne s’est jamais produit).
Nous avions fabriqué des guitares électriques en mettant des micros à l’intérieur de nos guitares classiques. J’avais fabriqué un amplificateur de 25 watts (ce qui pour l’époque pouvait paraître un truc à casser les oreilles). Nous jouions les Beatles, Pink Floyd, Genesis et quelques compositions personnelles dans la ferme agricole du père de Michel face à un public de vrais poulets qui caquetaient en nous écoutant. Mais le groupe s’arrêta le jour ou mon amplificateur explosa. Je crois que ne suis pas très bon en montage électronique, ni en bricolage en général.
Après le groupe j’eu l’idée de monter un club journal. J’allais voir le proviseur et je lui en parlais il me signala que dans le lycée il y avait une vraie machine d’imprimerie Offset qui avait été acheté et jamais utilisée (par un responsable technique qui avait dû se prendre de l’argent au passage). Il était prêt à me payer des cours particuliers d’imprimerie offset pour que je la fasse tourner et que je crée le club « Journal » du Lycée.
Nous baptisâmes le journal « LA SOUPE A L’OZENNE ».
Et ainsi à 15 ans j’eu enfin l’impression de faire quelque chose d’original intéressant. Déjà j’avais déduis que pour ne pas subir le système ancien il fallait inventer son propre système original. Proposer des initiatives pour ne pas subir le monde des autres.
Avec mon copain Fabrice COGET du Lycée Saint Sernin voisin nous faisions des bandes dessinées. Nous décidâmes d’inventer afin de capter tous les sens un nouvel art « La bandessino musicale » des bd à lire en écoutant des musiques suggérées (souvent Mike Oldfield, Genesis, Yes, Pink Floyd).
La partie odorante était sensée être réglée par la mise au point pour chaque histoire d’un « parfum » correspondant à l’ambiance. J’en parlais au proviseur qui consentit à me payer des cours de parfumeurs pour cet objectif. Notre professeur était un industriel toulousain, spécialisé en parfum de violette, Pierre Berdoues.
J’installai donc mon « orgue à parfum » avec des vraies essences pures dans ma chambre et je dois avouer que cela sentait tellement fort que peu de gens arrivaient à entrer dans la pièce sans être indisposé. Moi j’y dormais. Je parvins à synthétiser une sorte d’odeur de chocolat pour une histoire, et un parfum de pluie salée pour une autre. Avec l’équipe du club journal nous aspergions à la main des languettes puis les disposions sous cellophane et les scotchions à l’intérieur du journal. Un travail fastidieux surtout lorsqu’on sait que nous tirions à 3000 exemplaires pour couvrir le lycée Ozenne et le lycée Saint Sernin.
Ce fut Fabrice Coget qui me continua ma formation littéraire : Il me dit découvrir le cycle de FONDATION d’Isaac Asimov. Ce livre fut pour moi une vraie révélation puisqu’il allait bien au delà de sa simple fonction récréative proposant une vision « logique » de toute l’évolution de notre société. Grace à Asimov je compris que l’avenir appartenait à ceux qui étaient capables d’imaginer le futur avec le maximum de cohérence. Grace à Asimov je mis en marche dans mon cerveau, ma propre grille de lecture de l’actualité qui aboutissait à des prolongements probables un peu comme les positions de jeu d’échecs aboutissaient à des scénarios distincts.
Pour moi l’auteur de science fiction a la même fonction que la vigie dans un bateau, il est sensé monter sur le mat pour voir plus haut et plus loin et informer les autres de ses visions.
Tout cela m’inspirait des articles, des textes, des rubriques. Je commentais l’actualité, cherchais des prolongements aux dernières découvertes techniques. Avec Fabrice devenu mon meilleur ami nous avions de grandes conversations ou nous rivalisions d’idées pour nous surprendre mutuellement.
Au moment ou tous les articles furent prêts, l’imprimerie nous prit 3 jours complet de travail de 8 heures du matin à 8 heures du soir sans manger, à ne faire que nettoyer la rotative qui s’encrassait. Nous étions recouverts d’encre et nous travaillons en musique en écoutant du rock (Crosby Still Nash and Young, Fleetwood Mac)
Nous vendions le journal « La Soupe à L’Ozenne » à l’entrée du lycée 2 francs, mais l’essentiel de notre succès, car succès il y eut, était lié à une de nos vendeuses bénévoles, Nathalie lédreau, la sœur d’un des journalistes de notre équipe qui était tellement mignonne que personne n’osait lui refuser l’achat du journal.
Nous en étions tous amoureux, mais vu que c’était la sœur de mon copain et qu’elle m’impressionnait je n’eu jamais le courage de lui avouer ma flamme.
Le premier numéro de la soupe à l’Ozenne fut épuisé en quelques jours. Et fort de ce succès nous avons produit d’autres numéros en nous faisant aider de dessinateurs de l’école des Beaux Arts qui était proche.
Avec Fabrice Coget et le projet Soupe à l’Ozenne soudain ma vie prenait du sens. Enfin j’avais la considération de mon entourage, je n’étais plus que le raconteur d’histoire de cours de récréation j’étais le créateur du club journal. Certains professeurs voyaient bien que je ne travaillais pas assez mes cours normaux et me mettaient de mauvaises notes mais d’autres comme le professeur d’économie Joseph Schouft (qui était un professeur passionnant qui me fit découvrir le Marxisme) me soutenaient en me donnant des bonnes notes pour compenser la rigueur de ses collègues et m’encourager à créer ma petite entreprise journalistique.
Je me rappelle aussi que je voulais profiter de mon journal pour aller gratuitement au cinéma sous prétexte de rubrique critique ciné. Le directeur du Gaumont de la place Wilson m’avait dit « Ok je vous donne libre accès aux films qu’à une condition, nous avons tous les mercredis 5 nouveaux films pour les 5 salles, vous les regardez tous les 5 quel qu’ils soient c’est à dire, vous regardez aussi les dessins animés pour enfants, les documentaires, les films de kung fu chinois, les comédies sentimentales, les films érotiques, les films comiques. Tout sans exception sinon je vous reprends votre carte de libre accès ».
Présenté comme cela, le métier de critique cinéma me sembla soudain plus astreignant que je ne l’imaginais, cependant j’acceptais et je dois dire que je finis par m’apercevoir qu’il m’avait apporté une information, si on veut vraiment critiquer il faut s’intéresser à tous les genres, même ce qui nous semble à priori hors de notre zone culturelle.
Ce fut à cette époque que profitant de mon statut de rédacteur chef de magazine je me commençais enfin à avoir un œil intéressé des jolies filles de la classe (jusque là c’est moi qui tombais évanouis quand une fille qui me plaisait me disait bonjour) j’eu mon premier flirt avec Marie Noëlle C, une étudiante qui était venu à la fête de lancement du journal.
Après le succès du premier exemplaire de la Soupe à l’Ozenne, nous nous lançâmes aussitôt dans la rédaction du numéro deux.
Fabrice Coget et moi fîmes mêmes une exposition des bandes dessinées au centre culturel toulousain de la rue croix Baragnon et j’eu droit à mon premier article dans le journal local la dépêche du midi.
Après l’expo, je confiais à Fabrice une idée un peu décalée : faire une bande dessinée dont les héros seraient non plus des humains mais des fourmis vivant dans une cité fourmilière.
- On pourrait en parler comme d’une civilisation parallèle auquel on ne fait pas attention simplement parce qu’ils sont tout petits. Surtout que les fourmis de ce que j’en ai lu dans les encyclopédies sont apparus sur Terre il y a 120 millions d’années alors que l’homme n’existe tout au plus que depuis 7 millions d’années. On pourrait en parler comme d’une société ainée.
Fabrice m’encouragea dans cette voie et j’écrivis une première histoire de 10 pages intitulée simplement « L’empire des fourmis ».
C'était un simple scénario de bande dessinée mais je m'apercevais rapidement qu'il y avait beaucoup à dire sur ce sujet. Alors je commençais à lire "LA VIE DES FOURMIS" de Maeterlinck (une vision un peu vieillotte, ou ce scientifique belge leur prêtait des vertus de charité chrétienne) et aussi "DES FOURMIS ET DES HOMMES" de Remy Chauvin. Cependant il me semblait que ces deux scientifiques tiraient vite des conclusions pour que les fourmis aient l'air de défendre leurs points de vue spirituel ou politique. Il fallait que je trouve ma propre interprétation.
Donc j'installais des bocaux de fourmis que je prélevais en forêt et je les observais directement. Déjà j'ai l'idée que la meilleure manière de parler de quelque chose n'est pas de lire des livres sur le sujet mais d'aller voir sur place et d'observer les vrais acteurs.
Ainsi le scénario de BD des fourmis se transforma en grosse nouvelle de 20 pages, puis en nouvelle de 100 pages, puis de 500, puis de 1000, puis en grande saga (influence de FONDATION et de DUNE?) de 1500 pages.
Outre le texte lui même je décidais d'introduire un codage secret, toutes les premières lettres de chaque phrase formant un autre texte caché.
Pour maitriser la masse de scène spectaculaire j'utilisais une structure géométrique en sous texte, au début l'arbre de vie, puis la cathédrale d'Amiens.
Si bien que le petit scénario de BD pour la SOUPE à L'OZENNE commençait à me prendre au moins une heure de travail tous les jours et ressemblait à une sorte d'obsession de recherche du roman MONUMENTAL sur un sujet complètement anodin. LES FOURMIS.
(toutes les histoires sont à cette adresse:
http://www.bernardwerber.com/blog/index.php?label=1)